3. Les apports des photographies et films de Namuth

Les photographies et films ont avant tout eu une fonction explicative. S'ils ont été à l'origine de la diffusion de la technique du dripping, ils ont aussi participé au mythe lié à Pollock.

C'est à travers les photographies de Namuth que le public a découvert l'atelier de Pollock, autrement dit son univers de création, là où il a développé la technique du dripping de 1947 à 1951. En effet, une série de ces photographies représente Pollock entouré de ses "drip paintings" travaillant à un nouveau tableau où l'on voit le peintre se déplacer autour de la toile aisément. En fait, "les photographies et les films de Hans Namuth rendent plus explicite la célèbre technique de Pollock qui fut trop souvent mal comprise". (18) Tandis que "les films montrent la peinture propulsée sur des toiles planes de tailles diverses",(19) "les photographies de Namuth nous renseignent aussi sur deux des principales expositions de Pollock - en 1950 et en 1951 à la Galerie Betty Parson".(20) On voit donc que selon la technique utilisée, Namuth a multiplié les approches artistiques sur la peinture de Pollock.

Bien que souvent assimilée à de simples documents illustrant et explicitant la technique du dripping, l'oeuvre de Namuth est avant tout le travail d'un artiste en tant que photographe. Jean Clay est l'un des premiers à l'avoir dit comme le fait remarquer Rosalind Krauss :
Namuth, qui a, comme photographe, sa propre stature d'artiste, a pensé les angles de prise de vue, le cadrage, les contrastes, et tout ce qui constitue les objets photographiques. (21)

Le jugement de Clay à l'égard du travail de Namuth amènera à une double conclusion. En effet, il considère que, d'une part, les photographies de Namuth sont des oeuvres d'art, et, d'autre part, elles sont des lectures critiques du travail de Pollock :
Que les photographies de Namuth ne soient pas un simple reportage sur le travail de Pollock mais qu'on puisse les tenir pour une interprétation signifiante de ce travail. (22)

C'est donc dans la rencontre de deux arts, la photographie et la peinture, que demeure l'intérêt du travail de Namuth : la technique picturale du dripping vue à travers l'objectif du photographe. Si le résultat est un travail pertinent, réaliste et sincère, son interprétation est loin de lui rester fidèle.

L'interprétation de l'oeuvre de Namuth a souvent été détournée, Barbara Rose en donne ici les origines :
A l'encontre des oeuvres originales, les photographies et le film de Namuth circulaient facilement dans les universités et les musé es de province, touchant un public beaucoup plus large. (23)

Certes l'utilisation des films de Namuth a permis de diffuser plus facilement l'oeuvre de Pollock, mais le "danger" est que de cette manière l'interprétation devient indirecte. On "juge" le travail de Pollock à travers celui de Namuth, qui comme on l'a démontré précédemment, porte déjà un regard critique sur le travail du peintre. Ainsi, l'on peut ajouter :
Il va sans dire que le film de Namuth a également conditionné la perception des tableaux de Pollock parmi le groupe d'artistes "littéraux" qui avait une plus grande expérience des images médiatisées que les oeuvres originales. (24)

L'interprétation indirecte n'est pas le seul inconvénient lié à la diffusion de l'oeuvre de Namuth :
A la fin des années 1950, les photographies et le film de Namuth avaient suffisamment circulé pour fournir une solution de remplacement à la difficulté d 'une approche directe de Pollock. (25)

Cette "solution de remplacement" est le commencement d'un processus encore plus "dangereux" :
La grande popularité des photographies et du film de Namuth eut donc pour conséquence de donner une dimension plus grande à l'homme Pollock qu'à ses oeuvres. Le résultat ne pouvait être que désastreux. (26)

Pour conclure, il convient de juger l'oeuvre de Namuth tel un travail documentaire critique assurant une fonction explicative de la technique du dripping. Il ne faudrait cependant pas oublier l'impact médiatique découlant de la diffusion des photographies et des films puisqu'il est à l'origine de l 'assimilation du travail de Namuth à celui de Pollock, comme le souligne Rosalind Krauss :
Les photographies de cette gestuelle prises par Namuth s'associèrent donc aux tableaux à la fois dans l'imagination du grand public et celle de la critique, et devinrent un morceau de cette "vie" , de cette "biographie" que les oeuvres traînaient derrière elles. (27)

C'est aussi ce même grand public qui a détourné le sens premier de l'oeuvre de Pollock :
Au lieu de l'homme contemplatif, du penseur perdu dans une méditation pleine d'incertitudes que Namuth a si bien saise avec la photographie de l'aartiste allongé dans l'herbe, l'imagination populaire n'a retenu que l'image de Pollock l'homme d'action. (28)

 


Jackson Pollock dans son atelier, photographie de Hans Namuth, 1950.

 

On voit donc comment le "personnage" Pollock émanant du travail de Namuth est le résultat du pouvoir médiatique opéré sur la diffusion des photographies et des films qui ont de tous temps servi d'illustration, "l'indispensable photographie de Namuth" (29) qui accompagnait reportages de presse, conférences, ... Ainsi, doit-on considérer Pollock en tant qu'être ou peintre exceptionnel ?


Jackson Pollock dans son atelier, photographie de Hans Namuth, 1950.

(18) Francis V. O'Connor, "Les photographies de Hans Namuth comme documents d'histoire de l'art", inclus dans L'atelier de Jackson Pollock, Op. Cit.
(19) Ibid.
(20) Ibid.
(21) Rosalind Krauss, Le Photographique, Op. Cit., p.93.
(22) Ibid, p.95.
(23) Barbara Rose, "Le mythe Pollock porté par la photographie", 1ère partie : L'impact des médias et la déroute de la critique, inclus dans L'Atelier de Jackson Pollock, Op. Cit.
(24) Barbara Rose, "Le mythe Pollock porté par la photographie", 2ème partie : 29 Novembre 1950, inclus dans L'Atelier de Jackson Pollock, Op. Cit.
(25) Ibid.
(26) Ibid.
(27) Rosalind Krauss, Op. Cit., p.92.
(28) Barbara Rose, Op. Cit.
(29) Ibid.

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